Virginie Efira : «Je viens d’avoir un enfant à 46 ans, j’ai encore mes parents, je travaille… Je vis l’une des périodes les plus cool de ma vie» (2024)

INTERVIEW - Après une pause maternité, l’actrice à succès, ambassadrice Lancôme France, revient au premier plan avec deux films très attendus. Elle se confie tout naturellement.

Tout ce que vous imaginez deVirginie Efiraest… vrai. Solaire? Oui, quand elle arrive dans le jardin d’hiver de l’hôtel où nous avons rendez-vous, serveurs et clients n’ont d’yeux que pour elle. Lovée dans un grand manteau beige, UGG aux pieds, regard noisette, peu maquillée, ses cheveux blonds lumineux détachés, elle rayonne, naturellement, sans apprêts ni artifices. Sympa, sincère, spontanée, sans filtre? Tellement! On comprend pourquoi la maisonLancômeen a fait une de ses ambassadrices. Elle vous tutoie d’emblée, à la belge, s’excuse de ne pouvoir vous embrasser (un gros rhume), commande un thé avec du miel, et à la première question, «Êtes-vous pressée?», répond en riant: «Il nous reste dix minutes, allez, bonne chance à toi!»

Elle a beaucoup de répartie aussi. Virginie Efira est un paradoxe. Car elle n’est pas non plus une girl next door qu’on croise sur un palier, et ce n’est pas parce qu’elle semble cash qu’on s’autorisera toute forme de familiarité. Virginie Efira est une star, elle en a l’aura. Et son parcours parle de lui-même. L’ex-animatrice de télévision belge, l’ex-gentille fille des comédies romantiques est devenue l’une des actrices les plus demandées du cinéma français. Une reine, accessible et distante à la fois, un genre un peu inédit dans le paysage de la célébrité. Un tempérament bien trempé aussi, qui lui a permis de passer de la comédie populaire au cinéma d’auteur, de solliciter des réalisateurs et réalisatrices (Justine Triet, Paul Verhoeven…) en phase avec son désir d’actrice.

Elle a prouvé qu’elle était capable de tout jouer, de l’intellectuelle à la fille paumée, ironique, ultrasensuelle, bouleversante, dramatique… Passant de la facétie à la tragédie, une aisance de jeu récompensée en 2023 avec le César de la meilleure actrice pour Revoir Paris, d’Alice Winocour. Elle alignait récemment jusqu’à trois ou quatre films par an. Il se dit même, dans le milieu, que plus un scénario autour d’une femme entre 30 et 45 ans ne passe sans Efira écrit dans la marge.

Mais la golden girl du cinéma a fait une pause. Une longue interruption, suite à la naissance de son deuxième enfant, à l’âge de 46 ans, un petit garçon prénommé Hiro, né de sa love story avec l’acteurNiels Schneider. Elle reprend, aujourd’hui, le chemin des plateaux. Deux films sont en préparation. On l’annonce face à Jodie Foster dans le prochainRebecca Zlotowski, Vie privée. Et dans Les Braises, de Thomas Kruithof, avec Arieh Worthalter.

Madame Figaro. – Le cinéma vous a-t-il manqué?
Virginie Efira. – À la naissance de ma fille, il y a onze ans, j’avais repris le cinéma quand elle a eu 10 mois. Mon deuxième enfant, Hiro, a 15 mois… Est-ce parce que je n’ai pas reçu de projets assez convaincants pouvant me faire revenir sur les plateaux plus tôt? Si j’allais voir une psy, elle me dirait sûrement que j’ai voulu rester plus longtemps en compagnie de mon enfant… On ne sait jamais très bien où est la vérité. Mais le cinéma est magique: les acteurs peuvent continuer à faire croire qu’ils travaillent puisque les films sortent même pendant leur absence. En même temps, ce n’est pas parce que j’ai fait une pause de presque deux ans que je suis restée à lézarder sur mon canapé. J’ai à la fois géré mon fils qui entrait à la crèche et mon aînée au collège. J’ai surinvesti des endroits incroyables comme Pronote, le logiciel de la vie scolaire de ma fille… (Rires.)

Qui vous a fait reprendre le chemin des plateaux?
Je démarre lundi le tournage des Braises, de Thomas Kruithof. J’y interprète une femme qui travaille à l’usine et se joint au mouvement des «gilets jaunes». Le film raconte son éveil politique et les tensions que cela peut engendrer au sein de sa famille, notamment avec son mari (joué parArieh Worthalter) qui ne comprend pas son engagement.

Avez-vous une âme de militante?
Non, et j’ai un peu honte de répondre par la négative. Mais ce serait pire de vous mentir et de me cacher en m’appropriant un pseudo-combat. J’ai cependant beaucoup d’admiration pour ceux qui militent pour une cause. Et ce que j’ai trouvé très beau dans le mouvement des «gilets jaunes», c’est la découverte du collectif. Car, où est-il aujourd’hui? Les syndicats n’ont plus de pouvoir, les églises sont vides… Les ronds-points, vitrines de ce mouvement, ont permis de renouer avec cette notion et d’aller à la rencontre de l’autre…

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Vous jouez avec Jodie Foster dans Vie privée, le prochain film de Rebecca Zlotowski, avec qui vous avez déjà tourné Les Enfants des autres…
Le scénario est formidable, le casting incroyable:Jodie Fostercorrespond à une mythologie de cinéma qui m’a toujours fait rêver. Je me souviens précisément où j’étais quand j’ai vu Le Silence des agneaux… Ce physique, cette ténacité qu’on sent chez elle sont exceptionnels. Ses choix de films, son interprétation, son élégance, son intelligence directe et accessible, aussi… J’évite de penser à tout cela lors de nos lectures ensemble, puis, tout à coup, je la regarde et je me dis, waouh, c’est elle!

Autre rôle, celui de la première ambassadrice France de Lancôme. Vous rejoignez, entre autres, Julia Roberts en tant qu’égérie. Quel effet cela vous fait d’incarner la beauté à ses côtés?
Il faudrait que Lancôme organise un grand rendez-vous au sommet pour que je puisse la rencontrer… Elle vient bientôt à Paris recevoir un César d’honneur! J’ai vu tous ses films, même les moins bons, comme Mystic Pizza ou L’Expérience interdite. Mais quelleactrice! À l’âge de 15 ans, j’étais totalement amoureuse de ses gestes, de sa spontanéité… et quand Pretty Woman est sorti, j’ai basculé dans une sorte de mysticisme à son égard. À l’époque, je n’avais pas une vision très MeToo des films. Mais, même aujourd’hui, je peux me refaire dans ma tête un plan au ralenti de sa façon de marcher, à la fois masculine, enfantine et très féminine, de son sourire, son regard qui part vers le bas… Je l’adorais, elle me perturbait presque, je collectionnais ses photos… Pour en revenir à Lancôme, j’ai aussi grandi avec les images d’Isabella Rossellini, égérie du parfum Trésor, dans les années 1990. Je me souviens de son éclat et de sa mélancolie, de son côté très femme française finalement, sans sophistication surjouée. C’est ce que j’aime chez Lancôme, cette vision très moderne de la femme et cette allure qui ne s’évapore pas.

Qu’avez-vous gardé de votre fibre belge?
Il y a chez nous, les Belges, une forme de complexe. Quand vous parcourez l’histoire de la France, son passé politique, révolutionnaire, littéraire…, il y a de quoi pavoiser, non? C’est vraiment quelque chose de grandir à Paris! Cependant, je crois que nous, les Belges, avons peut-être compris que se sentir important n’était pas une finalité en soi… Ce qui nous attend tous, c’est la mort, finalement. Autour de moi, certains me trouvent toujours très belge quand d’autres me disent que je suis devenue très française.

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C’est-à-dire?
Il y a chez moi une dureté que je ne possédais pas auparavant, une forme d’autorité et un côté plus pressé. C’est peut-être lié au fait de ne pas l’avoir été du tout avant… On m’enjoignait d’aller à gauche ou à droite, j’y allais, puis à un moment, je me suis rendu compte que j’étais plus libre que je ne le pensais et j’ai sans doute appris à dire non plus facilement.

Les hommes vous trouvent sexy et les femmes vous adorent. D’où vous vient cet état de grâce?
Ce n’est pas un peu dépassé, cette vision? S’imaginer que les femmes sont forcément dans un rapport de rivalité… Il est vrai que certaines filles possèdent un physique tellement impressionnant que cela crée une distance, mais pas forcément de la jalousie. Le mien distille une forme d’accessibilité qui fait que… oui, parfois j’entends: «Je me reconnais en vous.» (Rires.) Mais j’aimerais bien aussi ressembler à des femmes qui me fascinent, si loin de moi, du genre impénétrable comme Lauren Bacall, ou fatale comme Ava Gardner… Mais une actrice doit-elle se façonner un personnage? Jouer à autre chose que ce qu’elle est vraiment hors des plateaux de tournage? Je ne le pense pas. Il est plus simple d’investir qui nous sommes réellement en dehors du cinéma. Cela dit, j’espère que les femmes me trouvent sexy aussi. (Rires.)

Vous l’êtes et, d’ailleurs, alors que le cinéma tend à déconstruire les genres et à invisibiliser les corps, vous n’hésitez pas à jouer le registre de la féminité, de la sensualité et de la volupté…
Oui, la sexualité m’intéresse… Une attention qui vient probablement de chocs esthétiques dans ma jeunesse, des visions qui deviennent politiques quand on les conscientise à l’âge adulte. Je me souviens de Sharon Stone dans Basic Instinct, qui exerçait son pouvoir sur les hommes en écartant les jambes. Je n’avais pas lu Simone de Beauvoir, mais pour moi cette scène signifiait (même si à l’époque je ne pouvais pas le verbaliser) qu’une femme était propriétaire de son corps et que la sexualité n’était pas qu’un terrain masculin… Idem dans les films de Bob Fosse comme All That Jazz, que j’ai vu et revu tant de fois, où des héroïnes ultracharnelles dégagent une autorité sans pareille. Ce n’est pas parce qu’on est une femme à la féminité exacerbée qu’on perd ses droits, sa dignité, et qu’on se soumet à l’homme pour autant. On a dépassé depuis longtemps le statut d’objet sexuel, alors pourquoi ne pas en devenir un si on en a envie? Le fait qu’une femme inspire du désir n’est en rien dégradant.

J’aimerais bien aussi ressembler à des femmes qui me fascinent, si loin de moi, du genre impénétrable comme Lauren Bacall, ou fatale comme Ava Gardner…

Virginie Efira

Jouer a-t-il eu un effet libérateur?
Quand j’ai commencé le cinéma, je jouais surtout dans des comédies romantiques. Dans ce type de films, on est dans des stéréotypes, des archétypes de personnages, il n’y a pas vraiment de sexualité, excepté pour 20 Ans d’écart où, pour la première fois, mon corps apparaît. J’avais un peu l’étiquette-cliché de la fille qu’on va marier, dotée d’une sexualité sage, sans histoires, sans vagues. Je me disais, c’est bizarre qu’on ne regarde pas plus loin chez une femme. Puis la libération est arrivée avec des rencontres cruciales:Justine Triet, en premier, puis Catherine Corsini, qui m’a filmée dans Un amour impossible avec Niels (l’acteur Niels Schneider, NDLR), et enfin Rebecca Zlotowski. Elles ont eu envie d’explorer autre chose dans mon jeu. Et moi je n’ai jamais pensé qu’explorer signifiait diminuer. La principale question quand on tourne des scènes de nudité, c’est la confiance accordée au metteur en scène. C’était totalement le cas quand j’ai interprété Benedetta, avec Paul Verhoeven (elle joue une religieuse schizophrénique en proie à des désirs saphiques, NDLR). Les pseudo-féministes qui pensent que je me suis mise à poil car le réalisateur était un homme ont tout faux. Ce n’est pas parce que je suis une femme que je ne peux pas décider de dire oui ou non. Au cinéma, si le corps raconte une intimité, c’est oui. Si c’est uniquement illustratif, c’est non.

Que vous a transmis votre mère au sujet de la féminité? Était-ce un sujet dans votre famille?
Non, d’ailleurs c’est quoi la féminité? Une trop grande préoccupation de soi? Plus jeune, je ne réfléchissais pas à ce qu’être une femme voulait dire. Et même aujourd’hui, la question de la féminité, si elle est abordée sans aucun humour, me met mal à l’aise. Bon, j’avoue quand même (car je vois déjà mon coiffeur rigoler en lisant mes propos), que j’adore me coiffer, me maquiller, je peux y passer des heures et cela ne date pas d’hier. Jusqu’à mes 5 ans, environ, ma mère travaillait comme esthéticienne dans un salon de beauté Simone Mahler, situé en bas de la maison. Un univers en soi. Je la revois, là, entourée de crèmes, je la trouvais si belle. Je la retrouvais souvent à l’institut, où elle me faisait des massages du visage. C’est marquant pour une enfant. Elle ne m’a jamais donné de conseils, mais moi, ce que j’aimais le plus en elle, c’était sa joie de vivre et sa liberté. Une femme comme elle ne reste jamais seule. Le contraire de ceux qui se concentrent trop sur eux-mêmes…

Votre père vous a-t-il aussi soutenue dans vos choix de vie?
Oh oui, le grand féministe, c’était lui. Depuis ma plus tendre enfance, il me disait toujours qu’il ne fallait pas dépendre financièrement d’un homme. Tout sauf «la femme de.» Même plus tard, adolescente, quand je racontais pour frimer que j’avais plusieurs petits copains, il s’en amusait. Mon père n’était pas quelqu’un de conventionnel. Mais les études avaient beaucoup d’importance à ses yeux, surtout pour quelqu’un comme lui, qui s’était élevé socialement en devenant hémato-oncologue. Il pouvait s’inquiéter pour sa fille qui, au fin fond de Bruxelles, rêvait de cinéma en jouant Miss Tequila dans les bars… À 16 ans, quand je lui affirmais que je serais actrice, il répondait: «Mais au moins as-tu lu tout Racine?» Il n’a cependant jamais été choqué par mes choix de vie, de films, même Benedetta, aucun jugement, jamais…

Je crois que nous, les Belges, avons peut-être compris que se sentir important n’était pas une finalité en soi…

Virginie Efira

Quel regard portez-vous sur votre âge?
Je vis l’une des périodes les plus cool de ma vie si on regarde objectivement où j’en suis. Je viens d’avoir un enfant à l’âge de 46 ans, j’ai encore mes parents, je travaille…, où sont les problèmes? Et puis, ce n’est pas une théorie sur la joie de vieillir, mais je pense sincèrement que l’âge n’est qu’une donnée parmi d’autres. Certes, le visage change, on a moins d’éclat… Mais j’ai de la chance: beaucoup de femmes épatantes m’ont filmée. Après, j’évite de penser au temps qui passe, car là, je pourrais m’enfoncer dans une sorte de lac noir, un lac qui symbolise la mort, l’anéantissement. Mais j’arrive assez bien, de manière naturelle, à ne pas trop m’en approcher.

Et sur la maternité?
Lorsque j’ai accouché de ma fille, Ali, il y a onze ans, j’étais dans une quête de perfection, je culpabilisais même du temps qu’elle pouvait passer avec sa nounou, sans moi. Aujourd’hui, avec Hiro, je suis plus sereine… Je pense que le regard sur la maternité a changé. Des témoignages alternatifs ont été entendus sur les plateaux télé et ailleurs. On sait que les femmes peuvent aussi se sentir mal à la naissance d’un enfant, être en vrac – même si l’on s’accorde à dire que cela reste le plus beau jour de leur vie. Pouvoir en parler amène à se sentir beaucoup mieux. Moi, à la naissance d’Hiro, j’avais conscience de tout cela et, en conséquence, j’allais bien. Je dois dire aussi que le père de mon enfant est très cool.

Niels Schneider, votre compagnon, est également acteur. Comment gérez-vous la célébrité de votre couple?
Elle ne me pèse absolument pas. Peut-être suis-je dans le déni? En même temps, je ne suis pas Madonna. Ni Brigitte Bardot, cet objet de scandale qui a fracturé une société corsetée. Moi, quand je sors à l’extérieur, les gens se montrent très gentils et des femmes m’arrêtent parfois pour me dire qu’elles m’apprécient. À Paris, j’ai parfois l’impression de vivre dans une comédie musicale…

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